mercredi 3 octobre 2012

Bulletin n° 48


Vigilance
Info
N°48 – septembre- octobre 2012
Bulletin de
Justice & Libertés
Comité de vigilance contre l’extrême droite et pour le respect de l’Etat de Droit
 
Pourquoi l’extrême droite est-elle
forte en Alsace ?

Après un bilan des actions et interventions-nombreuses et efficaces mais pas toujours très fournies en participants- de Justice & Libertés, et explications des associations sur leur manière de fonctionner- qui ont donné lieu à un projet de séminaire- nous débattons de l’étude intitulée : «Pourquoi l’extrême droite est-elle forte en Alsace ? » reproduite ci-dessous.

«Les saisons d’Alsace» de l’été 2005 ont annoncé «la fin du silence». Dans un article du type éditorial, Philippe Breton développe «l’immense silence qui a longtemps recouvert l’Alsace (…) silence auquel on a parfois opposé l’absence du «devoir de mémoire»»(1). Il énumère les sujets soumis à la loi du «silence» : silence sur les ralliés par opportunisme et sur les nazis par conviction ; sur ce que le bras a dû faire ; sur ceux qui sont restés et ont subi dans leur chair la violence de la propagande et de la torture des consciences ; sur les enrôlés de force, dans les multiples organisations nazies,…dans les SS ; sur les résistants ; etc. En parlant du «nécessaire silence», Philippe Breton conclut à juste titre : «le silence n’est pas l’oubli

Certes, l’objectif n’est pas de citer tous les sujets concernés par le «silence» et répertoriés par «Les saisons d’Alsace». Mais, force est de constater qu’un «silence» n’a pas eu droit de cité : le silence sur l’intensité de la propagande anti-juive de l’appareil nazi, alimentant l’antisémitisme en Alsace. Un silence qui continue à empoisonner la vie en Alsace.
Intéressons-nous à deux thèmes soumis au «silence» :


A-    La nazification de l’Alsace et la collaboration ;
B-    L’antisémitisme.
Pour développer ces thèmes-et afin de rester au plus près des évènements-je fais appel aux historiens et aux sociologues.

A-    Dans le cadre de la nazification de l’Alsace, «un vaste programme est mis en œuvre à marches forcées par le Gauleiter Wagner» : stage de rééducation (Umschulung) à l’idéologie nazie pour les enseignants et les fonctionnaires, surveillance des faits et gestes de la population par des Blockleiter et des Zellenleiter, affectation forcée de jeunes alsaciens dans les organisations de la jeunesse hitlérienne, période d’instruction des jeunes dans le Reichsrbeitsdiest (RAD), adhésion des salariés au Deutsch Arbeisfront, serment au Führer des fonctionnaires, etc. (Les saisons d’Alsace- été 2005- page 44- Leçon n°2).

Tous les observateurs de la période 1940-1945 insistent sur l’acharnement des occupants allemands à nazifier l’Alsace. Les quelques lignes que je viens de citer ne suffisent pas à rendre compte du travail systématique de l’appareil nazi en Alsace. Disons simplement que l’effort de propagande était particulièrement centré sur les jeunes. Combien d’entre eux ont définitivement rejeté l’idéologie nazie ?

Il y a des interrogations sur l’attitude des Alsaciens durant l’annexion.

Eugène Riedweg a qualifié leur comportement de globalement «attentiste». (Les saisons d’Alsace- été 2005- page 45).

Pour Bernard Vogler, «il s’agissait d’abord de survivre au jour le jour, de gagner du temps, parfois en donnant un gage pour avoir la paix. Résister, c’était risquer de se faire envoyer au camp de correction de Schirmeck». (Les saisons d’Alsace- été 2005- page 45).

Alfred Wahl est, lui, plus ferme : «certains Alsaciens se sont indubitablement ralliés volontairement au régime nazi. Leur adhésion allait bien au-delà d’une collaboration minimale. Mais, dans l’ensemble, on peut dire que la plupart des Alsaciens a été dans l’obligation de se rallier au système : il s’agissait en quelque sorte d’un ralliement de force.» (Les saisons d’Alsace-été 2005- page 45).

Pour Nicolas Stoskopf, «le concept d’attentisme ne reflète pas correctement le comportement d’ensemble des Alsaciens restés dans leur région pendant la guerre. (…) D’une certaine façon, les Alsaciens sont massivement et collectivement compromis, et cela se paye au regard de l’histoire.» (Les saisons d’Alsace- été 2005- page 45).

Existe-t-il une ligne de démarcation entre «ralliés de force» et collaborateurs, qualifiés par Alfred Wahl de «ralliés volontairement au régime nazi» ?

Après avoir classifié les «ralliés» en «vrais» et «faux» collaborateurs, Jean-Laurent Vonau, professeur émérite de l’Université de Strasbourg, qualifie de «évidemment…bien sûr suspects» les Alsaciens entrés dans la SA. Il ajoute : «plus on montait dans la hiérarchie, plus le ralliement était perceptible.» Par contre, «les membres du parti (les PG-Partei Genosse) étaient très majoritairement des nazis convaincus.» Combien étaient-ils ? «En juin 1944 le Gauleiter considérait que 75000 personnes étaient membres : 25000 Alsaciens et 50000 Allemands vivant en Alsace. Cela représentait alors, selon Riedweg, 2,3% de la population alsacienne.» Ainsi, «parmi les premiers ralliés, on constate fréquemment qu’un de leurs parents était allemand, le plus souvent la mère.» Et «un membre de la Hitler Jugend avant le 1er janvier 1942 est forcément un volontaire. (…) Les volontaires dans la Wehrmacht ne sont repérables que jusqu’au 25 août 1942.» (Les saisons d’Alsace n°44).

Historien et l’auteur d’une thèse consacrée à «La politique de nazification en Alsace», Lothar Kettenacker, est plus catégorique. Selon lui : «la population alsacienne était globalement d’accord avec l’annexion. Cependant, les autonomistes (mais pas leur composante catholique, plus régionaliste qu’irrédentiste) ont diffusé des idées fascistes et ont préparé le terrain.» Depuis combien de temps? Ce qui laisse à penser que la nazification de l’Alsace est antérieure à 1940.

Partageant l’avis de Lothar Kettenacker, Léon Strauss écrit : «lors de l’annexion, le terreau est en partie favorable au national-socialisme. Des aspects totalitaires du régime sont connus et acceptés dans certaines catégories, notamment chez les protestants luthériens

Lorsque Nicolas Stoskopf, historien, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Haute-Alsace, écrit que «les Alsaciens sont massivement et collectivement compromis », connaissait-il la position de Lothar Kettenacker et de Léon Strauss ?

Dès lors, il devient difficile de limiter le nombre des Alsaciens acquis à l’idéologie national-socialiste aux «volontaires» et aux membres du «NSDAP», donc à 2,3% voire 3% (selon Jean-Laurent Vonau- Les saisons d’Alsace n°44-page 101) de la population.

Globalement attentistes, ralliés volontaires au régime nazi, ralliés de force, Alsaciens compromis massivement et collectivement, volontaires, suspects, nazis convaincus…Force est de constater, primo, que beaucoup d’Alsaciens se sont, volontairement ou involontairement, compromis avec l’occupant nazi et son idéologie national-socialiste ; secundo, que les historiens ont beaucoup de divergences.

Une chose est sûre : l’idéologie nazie a été propagée en profondeur en Alsace, après que le terrain eut été préparé par des autonomistes germanophiles. D’autant plus que, «beaucoup d’Alsaciens, dont le grand-père avait été allemand entre 1870 et 1918, ne considéraient pas comme un crime de redevenir allemands. Ils n’interprétaient pas leur statut comme un passage au nazisme mais comme un retour à l’Allemagne suivant le balancier de l’histoire.» (Marc Ferro- Les saisons d’Alsace d’été 2005-page 40).

Parlant des «individus (qui), en dehors de toute contrainte, (…), décidèrent de s’engager du côté des nazis», Jean-Laurent Vonau écrit : «l’ordre et la discipline étaient, avec le travail, la famille, la terre, leurs valeurs de référence.» (Les saisons d’Alsace ; n° 44-page 98). Comment interpréter  les penchants actuels de certains Alsaciens, qui se définissent encore par rapport aux dites «valeurs de référence» ?

Lorsque Philippe Breton caractérise l’Alsace comme «laboratoire malgré elle de l’effet à long terme de la propagande et (…) empêtrée aujourd’hui dans son rapport paradoxal à l’extrême droite», pensait-il à la persistance des traces de l’idéologie nazie, encore vivantes, dans le subconscient de l’Alsace profonde, soixante-sept ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, en 1945 ?
Dès lors une question taraude un observateur averti : lesdites traces constituent-elles le plus important des «silences», guidant ou renforçant l’ensemble des non-dits et des préjugés ? Constatons simplement qu’un immense silence perdure, qui recouvre encore la nazification et la collaboration en Alsace. Ce silence-là n’est pas prêt d’être rompu.

(1) Marc Ferro, lui, préfère effectuer non pas un devoir de mémoire, mais un travail de mémoire. (Les saisons d’Alsace-été 2005-page 40).
                                                                                                 A.R.
    


      La discussion s'amorce:

  _ On effectue un parallèle entre le silence qui entoure la nazification de l'Alsace et celui qui concerne la guerre d'Algérie, de même qu'entre les Alsaciens et les Harkis.

 _ L'Alsace a été partagée entre deux pays depuis Louis XIV. Identité fragile: L'Alsace était Allemande de 1870 à 1918. Il ne paraissait pas anormal à certains de redevenir allemands.

 _ Les conditions de la Résistance en Alsace étaient beaucoup plus dures qu'ailleurs en France. 200 000 Alsaciens se sont réfugiés dans le Sud-ouest. Sur chaque stèle du Limousin, on trouve des noms de résistants Alsaciens.

 _ la tentation de l'extrême-droite n'est pas une particularité alsacienne: le Var, qui accueille nombre de pieds noirs, est un fief de l'extrême-droite. A Nice, bien dotée en forces de police et en caméras de surveillance, elle parade, ce qu'elle ne réussit pas à faire à Strasbourg, grande capitale de gauche  et qui n'hésite pas à porter des femmes aux plus hautes responsabilités, ce qui est inédit en France.

 _ L'extrême-droite est le bras armé du grand capital. Les déçus d'une gauche capitaliste sont tentés par elle.
 _ Les medias informent peu sur les mobilisations contre l'austérité en Espagne et au Portugal et sur les progrès économiques qui accompagnent la démocratie en Amérique Latine (Brésil, Equateur).

 _ Mais la particularité concordataire de l'Alsace, où christianismes et judaïsme sont enseignés à l'école dans des cours séparés favorise le communautarisme. Il vaudrait mieux un enseignement global sur les religions, en classes entières. (À débattre. Laïcité d'accord fait un gros travail sur le concordat d'Alsace-Moselle).

Aucun des éléments cités ci-dessus n’est le déterminant essentiel du particularisme alsacien mais la somme d’éléments, tels que ceux donnés en exemple ci-après, explique la position d’une partie de l’électorat alsacien qui trouve dans certains propos de l’extrême droite un écho concordant à certaines convictions ou ressentis bien ancrés.

Eléments nourriciers de cette attitude :

Histoire d’une région «ballottée» entre 2 cultures opposées ;
Situation géographique (enfermement entre 2 chaînes de montagne séparées en plus par un fleuve objet de toutes les convoitises depuis des siècles) ;
Subsistance tenace d’un dialecte à ne pas confondre avec un patois ;
Utilisation de termes tels que «à l’intérieur» ou «en France» ;
Droit local maintenant un particularisme qui, dans le cadre notamment du concordat, a communautarisé autour de leurs églises des populations dont les rapports n’étaient pas, durant des décennies, conviviaux.

Sens de la discipline plus affuté qu’ailleurs et provenant des contraintes imposées principalement par la présence germanique ; il en découle une réceptivité accrue du respect des ordres et de « l’Ordre ».
Monopole d’un média écrit dominant et nombriliste cultivant savamment et de façon destructrice le culte d’une information d’extrême proximité et donc isolatrice et actrice du rejet par ignorance «des autres».

Tout ceci constitue, entre autres, une pile de raisons faisant de l’Alsace un territoire «pas comme les autres» ; seul le temps pourra atténuer ce particularisme dont les Alsaciens sont encore imbibés de façon consciente ou inconsciente. Le temps a déjà commencé son œuvre, dans la Communauté urbaine de Strasbourg le vote de gauche progresse.

  La conclusion fut que toutes les organisations qui militent à Justice & Libertés ont pour point commun de lutter contre les différents facteurs qui font le lit de l'extrême-droite (idéologie-désinformation-propagande- crise économique- manque de démocratie dans la construction européenne – ignorance- méconnaissance de l'autre- manque de moyens d'expression- etc.)

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